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La commune de Guggisberg comptait sur son territoire les sociétés de fromagerie « Allmendli », « Riffenmatt » et « Scheuerguthubel » et ce, jusqu’en 2015. Chacune de ces coopératives possédait sa propre fromagerie, qui était gérée par un acheteur de lait. Construite en 1900, la fromagerie « Allmendli » produisait chaque année 63,3 tonnes de Gruyère et la plus ancienne des trois coopératives, la fromagerie « Scheuerguthubel », 62,3 tonnes. Chacun de ces établissements était approvisionné en lait par onze fournisseurs. La coopérative « Riffenmatt » s’était vu attribuer la quantité de référence de 85,3 tonnes d’Emmental, dont 50 à 65 % pouvaient être fabriqués, selon l’autorisation de produire et la qualité. Quatorze producteurs livraient le lait à cette fromagerie, qui avait été rénovée pour la dernière fois en 1991. Par ailleurs, les trois coopératives produisaient en petites quantités des spécialités, comme le Vacherin et des fromages à pâte molle, pour les habitants du village.
 

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Les anciennes fromageries « Allmendli », « Riffenmatt » et « Scheuerguthubel ». Au centre, la nouvelle fromagerie « Hirschmatt ».


Les fermes des membres des coopératives, qui se trouvent dans la zone de montagne II, entre la Singine et la Schwarzwasser, sont difficiles à exploiter pour des raisons topographiques. La production agricole reposant principalement sur l’économie laitière, les trois coopératives furent confrontées à la question cruciale de leur développement dans le secteur de la transformation du lait. Faire cavalier seul aurait signifié pour chacune d’entre elles l’obligation d’assumer d’importants frais d’entretien et de réfection. En outre, l’autorisation de produire risquait à long terme d’être retirée pour des raisons de qualité. Les producteurs de lait auraient alors été contraints de livrer leur lait à l’industrie.

Une phase de projet difficile

Fin février 2013, l’Interprofession du Gruyère a répondu favorablement à la demande de la société de fromagerie « Riffenmatt », qui souhaitait produire du Gruyère AOP à la place de l’Emmental AOP. Ce feu vert fut à l’origine de la collaboration des trois coopératives, dont le fusionnement a donné naissance à la nouvelle société de fromagerie « Guggisberg ». Les membres de ces coopératives ont ainsi pu continuer ou commencer, dans le cas de « Riffenmatt », à produire du lait pour la fabrication du Gruyère. Le prix de ce lait s’élevait à l’époque à 84 ct./kg, soit au moins 25 ct de plus que le prix du lait destiné à la production d’Emmental et de lait industriel.

L’euphorie des premiers temps fut néanmoins de courte durée. La « Berner Bauern Verband », chargée de la direction du projet ainsi que du conseil en gestion et du conseil juridique, constata très rapidement qu’aucune des trois fromageries ne se prêtait à une rénovation accompagnée d’une extension. Le volume total du lait produit par les coopératives qui avaient fusionné semblait trop faible pour que des aides à l’investissement soient accordées par la Confédération et le canton. Autre fait non négligeable : les fromageries « Allmendli », « Riffenmatt » et « Scheuerguthubel » ne pouvaient être vendues qu’au moment de la mise en service du nouvel établissement. Les fonds propres liés à ces bien-fonds n’étaient donc pas disponibles pour la construction de la future société de fromagerie « Guggisberg ». En conséquence, le maître d’ouvrage a eu besoin de capitaux supplémentaires pendant la phase des travaux.

C’est ainsi que vit le jour un avant-projet sur l’aménagement d’une fromagerie à un emplacement central. Une parcelle située dans le hameau de Hirschmatt fut choisie à cet effet. Les frais de construction atteignirent quelque cinq millions de francs (acquisition du terrain et traitement robotisé du fromage compris). La nouvelle fromagerie devait transformer 2,5 millions de kilos de lait. Ce volume plutôt modeste et l’incertitude qui pesait sur la vente des bien-fonds restaient des aspects problématiques du projet. Il manquait près d’un million de kilos de lait à transformer pour remplir les critères de rentabilité. Le coût d’investissement de 2 fr./kg de lait était très élevé. En outre, il était difficile d’évaluer le risque que devraient assumer les éventuels bailleurs de fonds, à savoir la Confédération, le canton, la commune et la banque finançant le projet.
 

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Plan de la façade sud de la future fromagerie


Deux faits expliquent le résultat favorable de l’examen préliminaire de l’éligibilité à une aide fédérale et cantonale sous forme de contributions et de crédits d’investissement : il n’y avait pas dans la région d’autre fromagerie de Gruyère qui aurait pu convenir à cette collaboration et la rentabilité du nouveau bâtiment avait pu être démontrée. Le fromager et les membres de la nouvelle coopérative ont, quant à eux, dû accepter un ajustement radical du loyer de la fromagerie et de la retenue sur la paie du lait pour que les objectifs commerciaux puissent être atteints. Le coût estimé de la location de la fromagerie était avant de 12,6 ct./kg de lait. Un montant bien trop élevé pour un acheteur de lait dans une entreprise de cette taille. Les fournisseurs de lait durent donc consentir à une réduction de la paie du lait de l’ordre de 4 ct./kg pour pouvoir garantir la rentabilité de l’exploitation et s’acquitter de leurs obligations de remboursement.

La banque Gantrisch a également dû faire preuve d’un certain esprit de conciliation pour pouvoir donner son accord. Elle a vérifié si les flux de trésorerie escomptés permettraient de financer la construction de la nouvelle fromagerie et de couvrir les frais annuels (intérêts, amortissements et charges) une fois les travaux achevés. Mais elle a aussi dû évaluer les risques qu’aurait pu représenter le financement de ce projet compte tenu du caractère incertain de la vente des anciennes fromageries. La banque a finalement pu couvrir une partie des besoins en capitaux temporairement accrus par une charge hypothécaire supplémentaire sur les trois fromageries existantes. Pour le reste, elle a accordé un financement supplémentaire pour le nouveau bâtiment.

Fusion et construction d’un nouveau bâtiment 

C’est le 31 octobre 2015 qu’ont été achevés les plans de projet définitifs, les offres des entreprises et tous les autres documents nécessaires. Des assemblées générales se sont tenues le matin même dans les locaux des coopératives « Allmendli », « Riffenmatt » et « Scheuerguthubel » pour débattre de la fusion prévue. La question de l’emplacement du chantier et celle de la retenue sur la paie du lait ont donné lieu à d’âpres discussions jusqu’au bout. Le choix du site de Hirschmatt impliquait pour certains fournisseurs de lait des distances pouvant aller jusqu’à vingt kilomètres, qu’il aurait fallu parcourir deux fois par jour. La décision de ne pas verser la totalité des 84 ct./kg de la paie du lait a par ailleurs suscité un véritable mécontentement. Malgré tout, il était évident pour tout le monde que seule une collaboration permettrait à long terme de bénéficier du prix du lait destiné à la fabrication du Gruyère et que l’Interprofession du Gruyère représentait un partenaire très solide. Même après déduction de la retenue de 4 ct./kg, la paie du lait restait quand même supérieure à ce qu’auraient permis d’obtenir les autres solutions envisageables, comme la production d’Emmental ou de lait industriel. Les trois coopératives ont donc décidé de fusionner, si bien que la première assemblée générale de la nouvelle société de fromagerie « Guggisberg » a pu avoir lieu l’après-midi. Les membres du comité et de l’organe de contrôle de la nouvelle coopérative ont été élus pendant cette quatrième assemblée. Le feu vert a ensuite été donné à la construction de la nouvelle fromagerie.
 

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Vue de face de la nouvelle fromagerie

L’effort en valait la peine

Le 1erjanvier 2018, après un an et demi de travaux, le lait provenant des trois fromageries a pu être transformé pour la première fois en Gruyère dans les nouveaux locaux de Hirschmatt. Tous les membres des coopératives ont reçu leur première paie du lait en février 2018. L’acheteur de lait paie un loyer de fromagerie de 8,75 ct./kg de lait, et les membres reçoivent un montant correspondant au prix du lait fixé par l’Interprofession du Gruyère de 84 ct./kg, moins une retenue de 4 ct./kg. Les trois anciennes fromageries ont pu être vendues. Les frais totaux de cinq millions de francs ont pu être financés par le produit de la vente, mais aussi par les hypothèques de la banque, par les contributions de la Confédération, du canton et de la commune, par un crédit d’investissement, par une contribution de l’Aide Suisse aux Montagnards et par les fonds propres de la société de fromagerie de Guggisberg.

Sans fusion, le prix du lait serait tombé au-dessous du niveau actuel à cause des grosses réparations que nécessitaient les trois anciennes fromageries. Et la situation ne se serait probablement pas améliorée.

La « jeune » société de fromagerie « Guggisberg », fraîchement construite et opérationnelle, aborde une période de consolidation et de mise à l’épreuve. Elle n’est pas encore au bout de ses peines, mais que de chemin parcouru !

Lukas Lindegger, Office de l’agriculture du canton de Berne, lukas.lindegger@vol.be.ch

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